luc tartar
Trouver Grâce (2016)
mise à jour:
Trouver GrâceÉditions Lansman, 2016
Cette pièce a été écrite en résidence virtuelle sur le site laclasse.com. et en lien avec dix classes de collèges de la Métropole de Lyon et du département du Rhône. (Centre Erasme et Compagnie Ariadne)
theatre.laclasse.com
La journée finale de ce projet, réunissant les dix classes, avec la participation de la Compagnie Ariadne (direction Anne Courel), a eu lieu le lundi 6 juin 2016 au Théâtre de Décines.

Grâce a disparu.
Elle a quitté précipitamment le collège après une dispute avec son ami Hakim et n'est pas rentrée chez elle.
La famille, les camarades, les professeurs, tous se mobilisent pour retrouver la jeune fille, tandis que la police mène l'enquête et que les médias s'emparent de l'affaire.
Où est Grâce ? Elle est peut-être en danger.
Le temps presse, il faut la retrouver.

Un extrait :

Un tour du monde
Tu irais où toi ? Et par quel moyen de transport ? A pied à vélo en avion en auto ? Est-ce que tu partirais tout nu comme le jeu qu’on voit à la télé avec la débrouillardise en bandoulière sans savoir où tu vas à l’aventure récupérant des vêtements et composant ton itinéraire au fil des rencontres ? Ou est-ce que tu planifierais tout passant des nuits en cachette des parents à étudier les pays les civilisations les us et coutumes des peuplades les plus lointaines et la route la plus sûre la plus belle la plus époustouflante pour les rejoindre ? Tu partirais pourquoi d’abord ? Pour voyager voir du pays des îles paradisiaques et les beautés qui vont avec hommes et femmes animaux tous plus beaux les uns que les autres pour changer d’air de vie d’environnement et d’entourage…
Respire.
…ou tu partirais pour frimer faire des selfies avec des gens devant des paysages des monuments et poster tes photos sur Facebook ?
Ouf.
Je prends le globe terrestre et je dis ICI. Là où est posé mon doigt j’irai. Voilà comment moi je choisirais.
Et si tu tombes dans la mer ?
Je suis libre de faire tourner le monde comme je l’entends aussi longtemps que je le veux et je pose mon doigt sur les terres sur les mers
Tu triches !
Dans la mer faut bien regarder des fois y a des îles.
La Patagonie.
C’est pas une île !
C’est au bout du monde. Il y a la mer.
Oui mais c’est pas une île !
Il y a des îles. J’irai là.
C’est froid.
Quitte à choisir moi je choisis Tahiti. Ou les Maldives. C’est bien aussi les Maldives.
C’est chaud.
Il paraît que sur les plages il y a des vendeurs qui vendent des cages à oiseaux tu achètes une cage tu ouvres la cage et les oiseaux trois couleurs s’envolent en file indienne virevoltant dans le ciel comme le fil coloré d’un cerf-volant c’est drôlement beau.
A quoi ça sert ?
A faire quelque chose de beau ! A voir quelque chose de beau.
Ça ne sert à rien.
A relâcher des oiseaux.
Pour quoi faire ?
Et la cage qu’est-ce que t’en fais ?
Quel rabat-joie ! Dans la vie on fait des tas de choses comme ça qui ne servent à rien.
Comme ce jeu débile le globe le doigt et plouf dans l’eau !
Moi j’aime pas les jeux débiles.
Comme quand le prof nous fait ouvrir le dictionnaire au hasard des pages.
J’aime bien moi : on tombe sur des mots inconnus.
A quoi ça sert ? Qu’ils restent dans leurs pages !
Mais s’ils restent dans leurs pages c’est idiot on ne les connaîtra jamais.
Il paraît qu’en Afghanistan ils font des concours de cerfs-volants.
A Berck aussi ils font des concours de cerfs-volants.
Où ?
Oui mais là c’est du sérieux. De vrais combats. Ils enduisent les fils de colle de poisson et de verre pilé et quand deux cerfs-volants s’affrontent il y a des morts.
Il y a toujours des morts en Afghanistan.
Y a pas qu’en Afghanistan qu’il y a des morts.
C’est vrai. Y en a partout. La liste est longue des pays où ça meurt en vrac.
Ça meurt aussi en bas de chez toi si tu vas par là.
Voilà pourquoi moi je partirais : pour les morts en vrac. Leur porter secours.
S’ils sont morts c’est trop tard !
Comment tu peux vivre sans bouger quand tu vois tout ça à la télé et tous ceux qui fuient leur ville en se crashant dans leur vie ?
Tu parles en vrille.
C’est trash.
On dit Tu pars en vrille. Pas tu parles.
Moi j’aime pas connaître des mots nouveaux.
Des morts nouveaux tu veux dire.
Venant de pays du bout du monde et d’îles paradisiaques aux longues plages de sable blanc tachées de sang.
Moi je veux surfer tranquille chez moi dans ma chambre devant mon écran à jouer et tchater et à faire le tour du Net c’est un autre tour du monde.
Le monde entier à portée de clic 
Y a plus besoin de partir !
Tu parles. Et tous ceux qui ne peuvent pas faire autrement ? Ceux qui fuient la misère la guerre la dictature… avec rien dans les mains que leur tête parce qu’ils n’ont pas eu le temps de prendre quelque chose… 
Tu crois que c’est pour ça qu’elle est partie ?
Y a pas la guerre ici.  
Non je veux dire : parce qu’elle aussi elle a le désespoir en bandoulière ?  
Qui a dit ça ?
Les bruits circulent depuis qu’elle a disparu. 
Elle n’a pas disparu. Elle est sortie du cours. 
Mais depuis on ne l’a pas revue. 
Hakim a refusé de sortir quand le prof lui a demandé. C’est elle qui est sortie. C’est tout. 
Tu trouves ça normal ? Le prof demande à un élève de sortir. L’élève refuse. Il y a un face à face terrible et tout à coup c’est une autre élève qui sort et qui claque la porte. Et celle-là on ne la revoit jamais. 
Parle pas de malheur.  
En tout cas c’est pas normal. Moi je dis il y a aiguille sous roche.   
Anguille.
Et comment faire pour la retrouver ?  
Alerte enlèvement. 
C’est pour les enfants. 
Autant chercher une anguille dans une botte de foin. Non c’est bon je déconne. 
Tu déconnes ? Grâce a claqué la porte elle a couru dans le couloir descendu l’escalier elle est partie en trombe dans la ville on perd sa trace dans le méli-mélo des voies rapides et des échangeurs elle passe sous des ponts voit tomber la nuit dort dans l’inconnu se réveille en larmes ne peut pas se laver peut-être qu’elle est en danger entravée et toi tu déconnes ? Tu irais où toi si tu étais elle ? Et par quel moyen de transport ? Est-ce que tu partirais sans savoir où tu vas ? Ou est-ce que tu planifierais quelque chose ? Imagine. Tu es elle. Où tu vas ? Qu’est-ce que tu fais ?
Je suis Hakim. 
C’est vrai que vous vous êtes disputés ?